mardi 3 avril 2012

Big and small

avec Cate Blanchett
Grand et Petit, c’est l’histoire,
ou plutôt l’errance d’une femme,
Lotte Kotte, dont Botho Strauss a
fait un personnage absolument
bouleversant.Unefemmeordinaire,
avec laquelle on touche pourtant
à l’extraordinaire, une Alice
dans un pays des merveilles à
rebours.Quand la piècecommence,
Lotte estauMaroc.Seule.D’emblée
séparée du monde et des
autres, soliloquant dans le vide.
En dix stations comme en un
chemin de croix, Grand et Petit
suit Lotte dans sa pérégrination à
travers l’Allemagne, son pays où
elle revient, et qu’elle traverse de
ville en ville, Sarrebruck, Essen,
Lüneburg, Hörnum, et retour à
Sarrebruck. Lotte ne possède rien.
Fragile silhouette perdue dans le
grand monde, seulement munie
d’un carton contenant ses dessins
et d’un minuscule poste de télévision,
elle tente d’entrer en contact
avec les autres, ses voisins, son
amie d’enfance, son frère, la bellefamillede
celui-ci– laseule qui lui
reste –, et surtout son mari, Paul,
dont elle est séparée.
Toujours,Lotte essaiedepasser
à travers les portes, les fenêtres,
lesmurs,pourse mêlerà lavie des
autres. Mais partout, les fenêtres
et les portes se ferment, jamais les
murs ne tombent. Son amie d’enfance,
devenueune«ruinelamentable
»,ne lui parle qu’à traversun
interphone, enune des scènes les
plus hallucinantes de la pièce
avec celle de la cabine téléphonique,
dont Botho Strauss a fait
pour l’éternité le symbole absolu
de la solitude et de l’incommunicabilité
modernes.
Son mari, écrivain torturé par
l’impuissancecréatrice, larepousse
lui aussi, dans cette pièce sur
laquelle flotte la nostalgie d’un
paradis perdu, celui de l’amour,
bien sûr, cet amour perdu que
Botho Strauss aborde à la fois au
sens le plus courant de la déchirure
d’un couple, et surunplan plus
métaphysique: celui d’une unité
perdue, d’un grand tout à jamais
englouti, etdanslequel ilneserait
plus possible de s’inscrire.
L’auteur allemand (né en 1944)
est l’un des premiers à avoir si
magnifiquement saisi ce monde
atomisé, en éclats, qui est plus
que jamais le nôtre, trente-cinq
ans après l’écriture de la pièce, et
la souffrance qu’entraîne cette
séparation, ce morcellement
ontologique.
Quand il a monté la pièce, en
1982, avec Bulle Ogier, Claude
Régy faisait remarquerque Grand
et Petit est «à la fois une pièce sur
la perte et le vide mais, peut-être
aussi,sur la jouissancedecetteperte
et de ce vide, avec le développement
d’une énergie immense en
porte-à-faux sur le manque ».
C’est cette énergie, ce déséquilibre,
cet émerveillement, aussi,